Au-delà de la news CNN
Au Pulloff se joue La femme qui tenait un homme en laisse, un monologue d’une justesse exceptionnelle.
Une photographie fait le tour de la planète. Le monde est atterré, les journalistes et les officiels de tous bords hurlent au scandale. Sur le cliché, une jeune femme soldat américaine avec une laisse. Au bout de la corde, un prisonnier irakien nu, humilié, rampant sous les ordres de son bourreau. Qui n'a pas entendu parler deces photos prises dans les couloirs de la prison d'Abou Ghraïb ?

Ces jours au Pulloff, se joue La femme qui tenait un homme en laisse, un monologue du Neuchâtelois Yves Robert inspiré par cette triste affaire de barbarie gratuite. Réactif d'abord – le choc, l'indignation, l'incompréhension, – le texte utilise les codes de la fiction pour creuser au-delà de la news CNN, chercher à recomposer les blessures, les manques, les frustrations qui composent l'histoire personnelle derrière le «fait divers», avec tous ses nuances et ses aspérités. Sans jamais condamner ni justifier.

Sur scène, l'ambiguïté prend toute son ampleur. Le spectacle que l'on craignait politique correct est une pure merveille de justesse, d'intelligence et d'humanité.

Une banquette de salle d'attente pour tout décor et une caméra. Dispositif sobre et puissant dans l'évocation. Sous la direction de Julien Barroche, la comédienne Christine Chalard-Mühlemann – magnifique – trace avec force et dualité la vie imaginée de Lynndie England. Caméra en main ou sur trépied, la comédienne livre une douloureuse et intime plaidoirie, qui passe des rires arrogants aux larmes étouffées, en passant par la joyeuse naïveté d'une adolescente qui croit agir pour son pays. En filigrane, se dessine toute l'histoire du peuple américain et de ce foutu rêve de réussite qui devient trop lourd à porter quand on a grandi dans une petite ville perdue de l'Oklahoma.

Défilent alors les images aigres, malgré ses envies de douceur, d'une vie qui a tourné du côté de l'horreur et de la cruauté, un jour, dans une prison près de Bagdad. Et ce, dans la plus grande bonne foi, C'est là, la vraie tragédie